invitation à l'exposition de Riantec

..Je m’interroge sur ces courriels , mais qu’est-ce donc que cette transhumance des bigorneaux dont parlent ces informaticiens , chevronnés,sérieux, souvent porteurs d’humour caustique ,joyeux, précis et parfois quelque peu surréalistes.Où mène t-elle donc la transhumance de ces petits gastéropodes marins ? Et pourquoi transhumance et pourquoi bigorneaux ? <br> Du haut de la roche recouverte de ficus jusque en dessous pour se mettre à l’abri ? D’un pâturage à l’autre?c’est évident ..quel voyage il y a de quoi rêver!quels moyen de locomotion utilisent-ils?surfent-ils sur l’algue de passage ou se laissent-ils emporter par la vague hospitalière ?Ils rampent bien sûr comme tous les gastéropodes! Mais alors où est la question?Je les vois là sur le sol enfermés dans leur coquille…ou en grappe collés sur un galet providentiel .. la transhumance ne serait donc qu’une attente ,un enfermement organisé entre deux marées ?Nécessité oblige….je réfléchis toujours . Je cherche un thème pour le salon de la petite mer … réfléchir à un projet…pourquoi pas à la poursuite de la transhumance …comprendre d’abord la physiologie du bigorneau , sa coquille en spirale , son opercule qui signe sa complète fermeture au monde en attendant la prochaine opportunité!!!Pas mal tout cela …D’abord …sculpter un bigorneau …. pourquoi pas ….à partir de cartons… pourquoi pas …les cartons aussi se ferment s’entr’ouvrent au besoin et se referment!!! quelle coïncidence et en y réfléchissant les cartons voyagent aussi sur la mer par containers …me voilà ébahie de la correspondance je vais de surprise en surprise!et continue à réfléchir!Telle Perette et son pot au lait ..me voilà partie …………trouver du carton ! impératif Je parcours Lorient jusque dans ses plus petits recoins pour dénicher le précieux matériau ….je découvre par hasard un mercredi après-midi , qu’à partir de 16heures les cartons fleurissent à profusion sur les trottoirs de la ville .Ravie de cette aubaine ..je regarde incrédule les paquets biens ficelés, les plaques bien tassées , bien rangées , d’autres dans le plus parfait désordre , ou des amas artistiquement déposés , l’oeil se délecte et trie avec avidité! ! Tassés , encadrés ,juxtaposés ,jaugés,organisés …maintenant il faut prendre la charge et revenir jusqu’au garage ..une chance il fait beau …que vous dire des jours de pluie ou de vent ou il faut souquer contre les éléments .. prévoir l’averse , dénicher les cartons précocement déposés, les ramener avant qu’ils ne soient mouillés ..je dois ces jours là ressembler à l’un de ces chalutiers ballotés par la tempête , et moi contre le ridicule en plus … les passants se retournent…questionnent ,les commerçants aussi sans oublier les voisins de l’immeuble qui me voient transformée tous les mercredis sans pluie en SDF des temps modernes .Je ravale toute ma fierté , je vais , je reviens , outrageusement chargée … je rempli mon garage jusqu’à plus soif .. Ensuite je prépare les cartons enlever les scotchs, les étiquettes et j’en passe. Je découpe lame après lame en essayant de respecter les cotes de mon modèle…..la petite coquille « du petit bigorneau gris comestible de chez nous »Camille Claudel avait le marbre …… quelle ironie!! mais bref passons ,ce n’est pas le moment de jouer le registre des temps passés., et encore moins rêver de gloire .Il n’est pas bien grand et définir ses courbes en tous sens me donne le tournis …quatre jours de coupe ,de collage ……….sans sourciller ni lever la tête de mon ouvrage…je n’y arriverai pas …la bête m’échappe et sème le trouble chez mes neurones fatigués ..le désespoir me gagne , la lassitude aussi ……me jetterais..je dans le bassin à flots en rentrant ce soir pour échapper à cette histoire ,rejoindre les quelques égarés en coquille du port? j’y pense pour échapper à cette configuration qui ne veut pas se mettre en place ! Abandonner ,n’est pas ma devise mais tout de même , la tentation est là .Je m’encourage et me réconforte en me disant que demain sera un autre jour ,que le soleil se lèvera à l’horizon sur les voiliers du bassin à flot … qu’il faut au moins essayer d’aller jusque là ! La transhumance qu’elle soit informatique ,maritime ou cartonnale doit se mériter , je n’y échappe pas !!De fil en aiguille, de réflexions désespérées en obstinations saugrenues j’arrive enfin à ajuster , mes découpages en un volume est-ce vraiment un bigorneau de chez nous?un peu chinois quand même ,presque tous les cartons proviennent de Chine ,quelques rares d’Amsterdam mais tous connaissent le voyage en container.. Ils en savent plus que moi de la mer et du transit. Mon esprit voyage…C’est une étape ,j’essaierai de faire mieux une prochaine fois !et voilà le bigorneau a pris forme…il existe dans sa spécificité et ce n’est pas trop tôt . Le projet pour le salon de la Petite mer ne peut évidemment se réduire à cette petite forme .La grande transhumance informatique concerne d’énormes fichiers à déplacer ,il me faut donc voir nettement plus grand ..et c’est reparti de plus belle !Après avoir vaincu cette première approche ….EH.!…..le projet me paraît alléchant … dans l’euphorie de la tâche terminée! Me voici de nouveau à l’ouvrage …Le collectage recommence , à plus grande échelle , la tâche est rude,il faut faire le plein le mercredi seulement le mercredi.. Dix allez-retour du centre ville jusqu’à chez moi ..oublier la fatigue ,le ras le bol, continuer contre vents et marées . une fois le stock bien établi Olwenn et Hugues passeront avec leurs voitures ou le camion et me ramèneront tout cela à l’atelier ( grand merci à eux)…rejoindre le stock de colle qu’il faut lui aussi entretenir !!Il me faudra au bas quelques 400kg de cartons pour cette entreprise .Pardon pour les collègues qui subissent mon envahissement pantagruélique.Une fois l’affaire des cartons résolue ,j’interpelle mes informaticiens familiers …je connais pour l’avoir vécu et supporté leur humour souvent drôle ,toujours surréaliste et ce n’est pas peu dire …mais l’histoire des bigorneaux en transhumance..ils devaient avoir le cerveau bien échauffé!!! ….Qu’est-ce donc que ces bigorneaux en transhumance ?La réponse, toute empreinte de gravité me reviens aussi vite!!!Mais Maman ,ce ne sont que d’énormes fichiers informatiques qui doivent être déplacés !!!!! _mais alors …pourquoi bigorneaux ?-Maman réfléchis!!! Des jours durant je colle , je barbouille à tour de bras..je réfléchis ….le cube prévu , de deux mètres sur deux mètres, ne monte pas très vite . ..pas assez vite ..et même pas vite du tout ……le carton n’est pas coopératif !! une fois encollé ,mouillé il s’aplatit …je suis encombrée de ce projet pour ne pas dire engluée dedans …Je crie mon désespoir ..mais personne ne l’entend ….. ou plutôt il amuse tout le monde . Une société de recyclage propose des plaques bien nettes bien calibrées ,épaisses … issue prometteuse ..voie idéale ….mais les 600 euros requis dépassent de loin mon petit budget.Et puis réfléchissons deux minutes ,les bigorneaux de la petite mer ont-ils exigés de déjeuner dans dans un palace?Notre luxe est d’être là et de faire comme eux avec les moyens du bord!Autre souci rapatrier vers l’atelier des beaux-arts , les plaques encollées dans mon garage ,où plus rien ni personne ne peut entrer, où le séchage ne se fait pas ..là-bas tout sera plus facile, le travail plus agréable l’espace ,la lumière et la chaleur ..le rêve!Problème je n’ai pas de voiture ..Olwenn en vaillant capitaine me propose ses services et son camion!Sortir à deux ces énormes plaques et les jeter dans le camion ne fut pas de tout repos ,je voyais mes plaques si amoureusement contrecollées se défaire et une vague d’angoisse reprendre du service .Deux voyagent furent nécessaires. Arrivés dans la cour des beaux-arts , un beau ciel bleu, le vent souffle fort … cadre idéal pour faire sécher la grande lessive ! et nous de jeter ces plaques sur les rambardes de la cour spectacle apocalyptique les cartons se décollent de partout ma drôle de lessive avait de quoi faire cauchemarder plus d’un ..moi j’étais terrifiée tout cela me dépassait , mon travail de cet l’hiver s’agitait au gré du vent et de la gravité ! Fantômatiquement misérable!..En automate disciplinée …automate …automate .. ravalant mon angoisse , je reviens au sujet … j’encolle de plus belle! l’ordinateur aussi est un automate et celui qui s’y colle devient lui même automate complètement soumis aux possibilités, au caprice de la machine .tout se retrouve et me console , l’enfermement ,le repli sur soi devant son écran on ne voit plus l’autre , et moi il y a bien longtemps que je ne vois plus personne , que du carton , du carton ,il y a le stress social , le stress dù au pouvoir de la machine …des inconnues qu’elle impose ,l’obligation d’y arriver ..j’y suis aussi complètement ..je suis une automate colleuse de carton ,obsédée par l’enfermement, la spirale …et moi dedans ,jusqu’à la sortie. Le jeu devient intéressant. pour ne pas dire spiralant .et je repars à l’assautAu bout de tant de réflexions , la tête dans le carton, le tas s’est bien épaissi mais pour l’instant ,il est encore de forme carrée …une bonne séance de tronçonneuse s’impose..( le couteau à pain de service n’a aucune chance), elle va déterminé un cercle convenable .. voilà qui est fait ..mais il y a un mais , car je navigue à vue avec des mais le cercle me parait immense ,pensez donc deux mètres de diamètre , je sens mon sang se glacer …… le malaise s‘installe c’en est trop pour moi.. mon sang se glace !!!!au secours .comment installer la chose au premier étage du Château de Kerdurand ,l’escalier est trop étroit …….c’est de la folie ,la plus noire! Tronçonnons, tronçonnons ,encore un peu .. s’il vous plait ?1mètre 65 , c’est un peu plus raisonnable…Le travail peut reprendre ..je nage dans une masse d’arcs de cercle en désordre indescriptible .. je redécoupe , j’ajuste , je peaufine, je coupe avec mon délicieux couteau à pain qui tient plus du rasoir que d’autre chose ..cela des heures et des heures durant et les mois passent .Parfois je me dis qu’il vaudrait mieux laisser tomber .Passer à autre chose de plus léger de plus décoratif de plus féminin…moment de rêve loin de mes affres terrestres . Mais que nenni me dit -on en choeur à l’atelier!!! Tu continues!! tu vas avoir un joli nid douillet! un bigorneau habitat…une résidence secondaire de luxe ..bien sûr…..Riez, riez braves gens mais c’est moi qui continue et non pas les copains goguenards …ils sont amusants quelque fois que cela en dépasse l’entendement …gentils et pas méchants pour deux sous !!!mais l’esprit légèrement taquin…ils m’encouragent en riant ..mais souvent j’entends « on a pas idée de se lancer dans un projet pareil»! Renoncer oui bien sûr …mais cela ne me ressemble pas ou alors je ne sais pas le faire…Je baisse la tête, je courbe l’échine et je tangue entre colle cellulosique et cellulose…une vraie vie de rêve . Maudits courriels de passage qui me trottent dans la tête… une transhumance de bigorneaux ! et quoi encore !Evidemment , les bigorneaux ne vont pas vite , certains s’arrêtent en route pour brouter quelques algues tendres, ou pour se distraire ..la petite mer est plus permissive ! En informatique, s’ils se dispersent , la pagaille s’installe… donc soucis donc stress donc remise en ordre donc repli sur soi ,s’enfermer dans son sujet retrouver la trace …les paquets perdus , ramener tout le monde en bond ordre au bercail .Ah bon !…voilà toute l’histoire … les correspondances se bousculent à mon esprit … Les souvenirs des débuts de Transpac….. les premiers paquets envoyés qui se perdaient en route, n’arrivaient jamais à bon port et qui plus est impossibles à localiser ou à retrouver ..voyage sans retour sur les ailes du Cray One !!! Que d’angoisse j’ai pu côtoyer ..La voilà bien loin cette époque de la préhistoire informatique ..la recherche angoissée de quelques paquets envoyés … perdus sans doute dans les souffleries, embarqués par les vents tempétueux , chargés de refroidir cet énorme calculateur .La grande transhumance des fichiers avait plutôt l’air d’une chevauchée vers l’ouest rude épopée dont les jeunes informaticiens n’ont pas la moindre idée aujourd’hui …..l’installation du premier lecteur optique, une gageure la machine s’était mise à fumer pendant la démonstration officielle !!L’informaticien a quelques points communs avec notre gastéropode marin,il vit dans sa machine en apnée, prisonnier de la tâche à accomplir , obsédé par une transhumance dont lui seul suit la trace !!il ne voit ni n’entend plus rien de ce monde qui en lui donnant tellement de liberté d’action, l’enferme aussi dans le toujours plus, toujours plus loin ..toujours avec, jamais sans ..prisonniers de ses machines ..pc,portables, mp3, ordinateurs d’astreinte joignable à tout moment, la distance n’existe plus ,peu importe qu’il se déplace vite ou pas où qu’il aille, il a un fil à la patte , ou à l’oreille , ou au bout des doigts …traçabilité garantie digne du goulag… à longueur de vie. Peut-être que le petit gastéropode de la mer de Gâvres est plus libre que B blob . Son enfermement ,son repli sur lui même a l’avantage du silence propice à la méditation ou au sommeil , bercé par le chant des mouettes ou des vagues au loin .L’espace de liberté infini d’internet est peut être paradoxalement un enfermement ….parfois volontaire ? souvent incontournable? .Quel espace de liberté reste t’il à ces BlOB des temps modernes .?Liberté infinie ,avec un fil à la patte , aux oreilles ,au bout des doigts sous surveillance , pistés ,tracés de la pointe du jour au bout de la nuit …joignables et corvéables à merci., stressés …repliés sur eux même dans leur monde binaire! Ma tâche n’est pas finie ;je reprends mon fidèle couteau à pain, mon fusil pour l’aiguiser et je coupe et découpe pour modeler la bête qui ne se laisse pas faire, pour en arriver au résultat d’aujourd’ hui .Enfin c’est fait ….ce fut une aventure difficile , encore à méditer, mais assez drôle. Belle bête …. quand même ..peut-être qu’un jour je finirai de l’apprivoiser! je lui souhaite bon voyage … une belle escalade jusqu’au, premier étage du Château de Kerdurand…en espérant, qu’elle ne fugue pas pendant le voyage ni qu’elle ne se montre trop rétive à l’arrivée.